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Photo du rédacteurAntoine Horellou

Surmonter notre illettrisme face à la destruction du vivant

Je vous partage ce très bel article de Lucie Delaporte publié sur Mediapart le 21 octobre 2024 à 07h48.

"La sixième extinction de masse est engagée, et nous ne savons pas en déchiffrer les signes, illettrés que nous sommes face à des écosystèmes que nous ne savons plus nommer.


Les signes s’étalent sous nos yeux et nous ne les comprenons pas. Face à l’effondrement du vivant, nous sommes « illettrés », selon le philosophe Baptiste Morizot dans son important dernier livre Rendre l’eau à la terre. Alliances dans les rivières face au chaos climatique (chez Actes Sud, avec l’artiste Suzanne Husky).

La conférence des parties (COP) sur la biodiversité qui s’ouvre lundi 21 octobre en Colombie va être l’occasion de rappeler, une nouvelle fois, une avalanche de chiffres : les populations des vertébrés (oiseaux, mammifères, amphibiens, poissons ou reptiles) qui ont chuté de 73 % entre 1970 et 2020, comme vient de l’établir le WWF ; les 5 000 espèces de plantes « en état critique d’extinction », selon l’Union internationale pour la conservation de la nature ; les 10 millions d’hectares de forêt qui disparaissent chaque année, emportant avec eux la vie qu’ils abritaient...




Aquarelle de Suzanne Husky. © Actes Sud

Depuis le début du XXe siècle, les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100, estiment les études scientifiques. Un rythme inconnu depuis l’extinction des dinosaures et de 75 % des espèces animales, il y a soixante-six millions d’années.

Dans quelle crise du sensible sommes-nous tombé·es pour que ces chiffres ne s’imposent pas à nous comme l’urgence ultime ? Quelle mutilation mentale s’est opérée dans nos esprits pour que nous continuions à croire que le destin de l’espèce humaine pourrait être indépendant de cet effondrement ?

Parler de notre illettrisme face à cette hécatombe dit de manière limpide notre incapacité à comprendre ce qui se joue dans nos écosystèmes dont nous ne comprenons plus la grammaire. Les chiffres restent abstraits, et les noms latins des espèces qui disparaissent ne nous disent tout simplement rien.


Les mots nous manquent

Nous qui sommes en majorité urbain·es (80 % des Français·es vivent en ville), combien d’essences d’arbres sommes-nous capables de reconnaître, y compris dans notre environnement le plus immédiat ? Combien d’oiseaux communs pouvons-nous identifier ? De combien d’insectes savons-nous le nom ? Les mots nous manquent, et notre « environnement » disparaît dans un flou indifférencié.

Le décor plus ou moins agréable dans lequel nous évoluons nous est le plus souvent indifférent. Nous ne savons plus rien de nos relations d’interdépendance avec cette « nature » que nous continuons à regarder les yeux grands fermés.

Nos sols gavés de pesticides se meurent sans que nous soyons capables de déchiffrer les signes de leur agonie. Tant que les étals de nos supermarchés sont encore remplis des réglementaires « cinq fruits et légumes par jour », pourquoi nous en inquiéter ? 


Nous avons tellement plus important à faire. Tellement d’autres sujets sérieux de préoccupation que de penser à la disparition des populations de chauves-souris ou de vers de terre. Pour peu que nous puissions jouir en ville d’encore un peu d’« espaces verts » – naïve et technocratique expression qui résume bien la pauvreté de notre rapport au vivant –, autant nous intéresser aux sujets réellement importants.

Nous marchons pourtant depuis longtemps au-dessus du précipice, en route vers la sixième extinction de masse.

L’érosion vertigineuse de la biodiversité menace ainsi la survie de l’humanité à bien plus brève échéance que les dérèglements climatiques, dont les marques quotidiennes – inondations, sécheresse, canicules – nous empêchent désormais d’être totalement dans le déni.

Il nous faut d’urgence surmonter notre analphabétisme face aux écosystèmes. Parce que sans vers de terre ni chauves-souris, l’élégant mammifère que nous sommes n’a tout simplement aucune chance de s’en tirer.


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